Maman, les p'tits bateaux

Publié le par 16pattesenvadrouille.over-blog.com

Bonjour à tous,


S’adapter… Renoncer aux attentes longuement muries, accepter les contraintes sur lesquelles nous n’avons pas prise, porter nos pas et nos cœurs vers un lendemain inconnu sans s’attarder sur ce qui aurait pu être… La capacité à s’adapter, à rebondir, à notre sens, ressource dont la présence chérie ou l’irremplaçable absence détermine à elle seule la poursuite d’un voyage. Nous remercions la vie de l’avoir faite éclore et grandir en nous, car sans elle, il est probable que nous aurions depuis longtemps abdiqué face aux déconvenues et regagné nos pénates. Et lorsque je songe aux merveilles de paysages et d’émotions engendrés par ces changements imprévus de cap, je songe qu’il est parfois bon de lâcher la barre et de s’en remettre au courant.


Après une semaine en compagnie d’Anu et de sa famille à canoter entre deux averses, la promesse d’une accalmie nous a lancés sur la route sans l’ombre d’un regret pour le confort douillet dont nous jouissions. Situé à l’extrême pointe du bras nordique de la Finlande, Kilpisjarvi et ses hauts plateaux de toundra arctique nous appelait d’autant plus irrésistiblement que nous en nourrissions les projets d’exploration depuis longtemps. La longue route rectiligne offrant une vue dégagée sur les méandres d’un large fleuve peu à peu encadré de relief ne fit qu’accroître notre excitation et notre bonheur à retrouver les montagnes. Après un mois de grisaille humide quasi constante, nous nous réjouissions d’en arpenter la surface sous le soleil annoncé et les nuages amassés au sortir de la tente n’ont porté nul ombrage à notre détermination. Les zouzous chargés, nous nous engageons sur le sentier avec la joie d’un enfant remettant le nez dehors après un long alitement. Tout au long de la journée, nous progressons, enivrés par ce retour à ce qui nous anime, une nature  sauvage, nos zouzous bâtés affrontant vaillamment pierriers, marais et traversées de rivières à gué, nos impétueux cavaliers débordant d’enthousiasme et Bohème ouvrant joyeusement la marche. Nous évoluons dans un décors minéral au doux relief dominé par la montagne Saana. L’alternance d’éclaircies et de lumière grise filtrée par une fine couche nuageuse modifie sans cesse les nuances des roches et rend le décors mystérieux et envoutant. Le bivouac est installé tout au bord d’un lac et après l’invitation d’un troupeau de rennes à le suivre, Hugo ne résiste pas à une escapade solitaire à leur suite alors que Pierrot, Balthazar et moi regagnons nos plumes. Il en reviendra enchanté, les poches pleines de pelotes de réjection qui, dans cet univers minéral, ne laisse planer aucun doute sur l’identité du régurgitateur au plumage immaculé… Au cours de la nuit, les facéties météorologiques nous rattrapent et une tempête se lève. La pluie fouette la toile de la tente plusieurs heures durant tandis que de violentes bourrasques mettent à rude épreuve sa résistance. Au matin, elle ne s’apaise que pour reprendre souffle puis s’exprime de plus belle. Il nous semble que les zouzous ont froid, en particulier Fifi qui, la première, a réalisé sa mue et le sol ne leur offre en consolation qu’une maigre pitance. Nous couvrons Pierrot et Balthazar de tout ce que contient leur baluchon et plions le camp alors que je peine à garder mon équilibre face à Eole, seigneur incontesté de ces plateaux, qui prend visiblement plaisir à éprouver notre volonté à pénétrer son domaine. Peut être aurions nous pu poursuivre, peut être n’était ce qu’une épreuve afin de n’offrir qu’aux plus dignes la stupéfiante beauté sauvage de ces espaces, peut être aurions nous croisé le renard arctique et la chouette harfang… Mais que pèse tout cela face à la sécurité de nos 2 petits garçons, face au risque de les exposer, 15 jours durant à ces conditions ? Notre ambition est qu’ils s’épanouissent tout autant que nous à travers ce voyage, non qu’ils perdent santé ou enthousiasme afin de satisfaire esprit borné ou égo parental. Nous sommes revenus sur nos pas. Pas une fois ils ne se sont plaint. Chaudement emmitouflés, Eole les a emplis de son énergie, ses cabrioles les ont fait rire et son souffle a porté leurs cris de joie sur le royaume tout entier. Nous abandonnons Kilpisjarvi et maintenons le cap à l’ouest, franchissant la frontière plus tôt que prévu. Nous quittons la Finlande, pays d’adoption des 3 dernières saisons et refluent avec douceur le souvenir des innombrables moments de grâce que ses infinis espaces purs nous ont offerts.


Comme il se doit, la Norvège nous accueille en dévoilant rapidement un large fjord qu’illumine un improbable rayon de soleil. Incrédules au premier abord, l’air iodé qui s’en dégage balaie nos soupçons. Quel étrange spectacle que ce bout d’océan pénétrant les montagnes ! Impossible de dire si les colossaux trolls changés en pierre par quelque envoûtement y plongent leurs appuis ou si la vaste étendue saline nourrit les racines des géants pétrifiés pour préserver leur honneur et leur permettre de s’élever à l’assaut du ciel. Nous poursuivons notre chemin jusqu’à franchir dans la soirée le pont reliant l’île de Senja au continent. Un vent violent nous y accueille et le spectacle de la mer déchainée brisant ses vagues écumantes le long de la route nous replace à notre humble condition humaine. Les intempéries se prolongent et modifient à nouveau notre programme. L’itinérance pédestre se mue en itinérance motorisée, profitant de chaque accalmie pour user nos semelles. Les zouzous profitent de ce repos inespéré, broutant tout leur saoul l’herbe délicatement iodée jouxtant nos bivouacs tandis que nous tâtons du relief. Si Balthazar échoue encore rapidement sur mon dos ou les épaules d’Hugo, Pierrot avale le dénivelé comme s’il n’avait jamais quitté les montagnes, trottant pour monter et courant pour descendre. Nous poursuivons la découverte de Senja, empruntant la superbe route touristique qui dévoile à chaque virage une nouvelle carte postale. Plongées abruptes, plages de sable fin ou criques de galets accueillent nos regards et abritent nos nuits. Chaque bivouac recèle un trésor. Ici, mouettes et goélands chassant sans sommation un aigle pygargue à queue blanche venu pêcher son repas, là, un phoque curieux sortant la tête de l’eau avant de retourner à ses occupations, ici encore, un banc de dauphins me rendant visite alors que je lavais la vaisselle.  Ces petits bonheurs jalonnent notre progression et lui apporte la lumière que rechigne à nous offrir le soleil.


Le tour de l’île achevé, nous embarquons sur un petit ferry pour gagner l’île voisine d’Andoya au nord de l’archipel des Vesteralen. Véritable paradis des ornithologues, ce bout de terre composé de crêtes découpées encadrant l’eau turquoise des fjords abrite, outre mouettes et goélands, colonies de macareux, fous de bassan et pygargues à queue blanche se partageant le vaste océan. Oies et cygnes sauvages quant à eux s’abritent de la brise marine et profitent de la quiétude des marais pour materner leur couvée. Bien qu’enchantés par cette vie foisonnante, les flots de camping-car se déversant sur les routes à chaque nouveau bateau nous poussent à ne trop nous attarder et nous profitions d’une météo favorable pour mener à bien le projet à l’origine de notre passage ici. Nous embarquons sur un chalutier reconverti et voguons au nord ouest  d’Andennes pour atteindre en une heure le canyon océanique de Bleik. Sa profondeur offre espace et profusion de nourriture aux mâles cétacés venus chercher ici quelque repos avant de regagner les tropiques et les femelles afin d’y assumer leur rôle dans la perpétuation de l’espèce. Le vent se joint à notre navigation et la mer s’agite, la houle affirmée provoquant les exclamations joyeuses de Pierrot et berçant Balthazar qui sombre bien vite dans le sommeil sous le regard ébahi des autres passages cramponnés au bastingage. La zone de grands fonds atteinte, le Capitaine ralentit la vitesse des hélices silencieuses et s’oriente au sons des cliquetis perçus au sonar. A la surface, le silence se fait et chacun scrute l’océan dans une longue attente. Enfin, un geyser de quelques mètre jailli, dévoilant la présence du géant. A une dizaine de mètres, un cachalot reprend son souffle avec calme et savoure le produit de sa pêche, affleurant la surface et régalant nos yeux écarquillés de la contemplation de son vaste dos et de sa nageoire dorsale. Le silence a pris possession du pont, seulement brisé par le cliquetis des appareils photo et le souffle lent et régulier du placide animal. Les poumons purgés et l’estomac satisfait, il s’enfonce lentement et semble avoir déjà regagné un monde où nous ne pouvons le suivre lorsque se dresse, élégante, sublime, sa vaste queue brune qui nous salue avec une grâce insoupçonnée, suspendant le temps avant de replonger le noble cétacé dans les profondeurs de l’océan. Le silence perdure tandis que les flots l'avalent et les minutes s'égrennent avant que chacun ne revienne de ce rêve éveillé. Regards émerveillés et sourires émus se propagent et nous rapprochent, complices conscients d'avoir partagé un moment d'exception. Peu à peu, l'intensité de l'enchantement s'estompe et l'émotion persistante scande un rappel à l'unisson. A nouveau, l'attente s'installe et les paires d'yeux détaillent l'océan. Dans la cabine, les cliquetis captés donnent le cap, écho à notre appel transmis au gré des ondes.  Sensible à la sincérité de nos prières, à 2 reprises, le mastodonte reviendra nous honorer de sa visite et chaque fois s'ancrera plus profondément en nous le souvenir de l'excitation émue de cette rencontre extraordinaire. Revenus au port, à la réalité puis à nos plumes, nous méditerons longuement sur ce sentiment récurent d'humilité que nous inspire la nature et les merveilles qu'elle produit. Peu avare d'en combler qui prend la peine de lui prêter attention, elle se montrera particulièrement généreuse à notre égard au cours de notre escapade insulaire.


Loin de la sombre lueur feutrée de la nuit polaire, nous avons peu à peu atteint son antithèse saisonnière qu'incarne le soleil de minuit. Sous les latitudes polaires, Sa Majesté Soleil ne s'abaisse désormais plus à embrasser l'horizon et pendant près de 2 mois, rien ne distingue plus le jour de la nuit. Autour de minuit, l'astre s'incline à son niveau le plus bas et parait alors exploser en une lueur flamboyante. L'orange dévoile son spectre chromatique et le vocabulaire peine à suivre les nuances poétiques incitant à une contemplative rêverie. Saisissant à tour de rôle l'opportunité de soirées au ciel partiellement dégagé, Hugo et moi nous offrirons le luxe d'un tête à tête avec ce spectacle éblouissant. Amusant hasard ou clin d'oeil inconscient à nos origines, Hugo le saisira du sommet d'une montagne et moi, face à l'océan...
La besace chargée de ces vagabondages oniriques, il nous tardait de nous rapprocher de l'esprit de notre voyage et de poser à nouveau paquetage, chevaliers en culottes courtes et petit pot de levain sur les dos de nos vaillants destriers. Embarquant dans un dernier ferry, nous quittons les joyaux raffinés que sont ces îles et le flot touristique venu les admirer pour gagner d'autres espaces, bruts, vastes et sauvages et nous lancer, au seul rythme des sabots de nos zouzous, dans leur exploration. Puissent vos pas estivaux vous portez à la rencontre de vos rêves.


On vous aime et on vous lèche la truffe, hi han, les 24 pattes (et le petit pot de levain).
 

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A
gros bisous à tous les 4. Encore un magnifique récit et que dire des photos, bonne continuation dans l'attente de lire, des textes qui je me répète vaudraient bien un livre...
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T
Coucou à vous tous merci pour se beau récit c'est toujours un plaisir de le lire ainsi que les belles photos...bonne continuation à vous gros bisous Les Tals
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