Parenthèse

Publié le par 16pattesenvadrouille.over-blog.com

Les pieds de Pierrot flottants devant mon nez fleurent le fromage davantage que la Vache qui Rit de nos sandwiches. Comme les saucisses industriellement insipides en Finlande, les petits triangles blancs, banni de nos habitudes alimentaires, nous auront accompagnés tout au long du voyage. Ici, la Vache qui Rit fait partie du paysage, disponible dans la plus modeste des épiceries, à la boîte ou même à la portion. Alors, pour consommer local, entre les dattes, tajines, avocats, épices, cornes de gazelle, keftas, oranges juteuses et amandes croquantes, nous mangeons des sandwiches à la Vache qui Rit. 

De Marrakech, nous aurons finalement vu la gare, superbe bâtiment aux colonnes blanches encadrant un lustre monumental. McDonald’s, Starbuck et KFC nous y accueillent, le sol carrelé y est si propre que seuls deux chats téméraires osent s’y aventurer. Nul bonhomme en djellaba au capuchon pointu pour nous demander où nous allons, si la journée a été bonne et nous aiguiller vers le bon quai mais un guichet vitré et un panneau d’affichage électronique. Nous y passons l’après-midi, reconnaissant pour le wi-fi de la gare qui nous permet de partager des nouvelles. Nous observons l’agitation citadine et la symphonie de la circulation urbaine. Jamais il n’avait été offert à ma vue une telle diversité de moyens de transport. Motorisés ou non, sur 2, 3 ou 4 roues, ou 4 pattes, équi, mulo ou asino tracté, à ciel ouvert ou non, fugue impromptue où les engins, tels des croches, doubles croches et quart de soupirs sautent gaiement d’une portée de la partition à l’autre. Ici, optimise et le pick up emporte le cheval, un autre un plus plus loin, trimballant le fourrage. Petit taxi, grand taxi, doublement et queue de poissons sonores, le tout orchestré par les klaxons d’avantage que par les feux tricolores. Voitures surgies du passé et tesla silencieuses, bus aux portes contre lesquelles il est déconseillé de s’appuyer, car moderne climatisé aux vitres teintées et car-casses antiques dans lesquels on s’entasse et on s’empile puisque même lorsqu’il n’y a plus de place, il y en a encore. Joyeuse et jubilatoire fanfare circulatoire, sauf pour quiconque souhaite la traverser. 

Le soir tombe, les lampadaires s’allument, le quai de notre train s’affiche et nous quittons Marrakech, satisfaits de notre visite. 

Nous voyageons vers Tanger par le train de nuit et avons opté pour le confort horizontal des couchettes d’où je rédige ces lignes. Lino bleu gris au sol, banquettes en skaï orange et ses montants métalliques assortis, tonalité  identique pour le sigle ONCF brodé sur la taie d’oreiller et rideau rouge en laine pour réhausser le tout, kitchissime raffinement. Dans cet univers années 80 ne manque que la boule à facettes. Je me blottis sous la couverture et m’apprête à me laisser bercer par le roulis des rails. Je bascule vers le pays des songes,  chevauchant Pégase roulant et il me semble percevoir dans la musique de son envol le tataclop du cheval de fer sur les pavés rectilignes qui orientent ses ailes.

Le petit matin nous accueille à Tanger. Nous boudons les taxis et marchons sur le large front de mer pour rejoindre le port. Nous pourrions tout aussi bien marcher ainsi de l’autre côté de la Méditerranée. Mêmes hôtels luxueux, lampadaires sophistiqués, îlots  de palmiers ornementaux, ascenseurs de verre menant au parking souterrain, mouettes civilisées et projecteurs géants concurrençant la pleine lune pour éclairer le sable. C’est sans identité, mais c’est très beau et fort bien réalisé, je le reconnais volontiers. Nous remontons le temps en même temps que l’avenue et laissons le visage moderne de la ville résolument tourné vers l’avenir pour pénétrer la médina aux échoppes encore endormies. Nous petit déjeunons à la terrasse du Tingis sur la place du Petit Socco et nous imprégnons de l’ambiance. Le passé résonne des pas des brigands, musiciens et artistes qui ont sillonné les ruelles.  Ici, le petit berger de L’Alchimiste de Paulo Coelho s’est vu détroussé, ici, Ibn Battuta a appris à marcher avant de parcourir le monde. Ici encore, les Beatles, les Stones et les Doors ont trouvé l’inspiration. Tant d’influences culturelles ont frappé aux portes boisées des échoppes proprettes. Le serveur à la moustache grise parfaitement taillée et au gilet élégant nous sert un thé exquis et emporte le sachet en plastique de nos achats à la boulangerie voisine pour nous les rapporter sur une jolie coupelle. Nous profitons de ces instants, c’est à la fois simple et raffiné, agréable et reposant. La ville dort encore et nous en jouissons avant l’agitation qui ne tardera pas à venir. La galerie de personnages qui nous entourent invite à l’intrigue et les observant,  nous voilà aspirés par les pages haletantes d’un roman d’espionnage ou d’aventure. Les indicateurs, les traîtres, les alliés et soutiens inattendus se cachent peut être parmi eux. L’homme à la djellaba aussi immaculée que sa barbe, qui fume attablé tout prêt du comptoir, l’intellectuel quadragénaire qui griffonne son carnet à la table voisine, écharpe en soie nonchalamment jetée sur sa veste, la dame d’un certain âge et d’un certain standing qui nous toise derrière ses verres fumés sur le pas de l’hôtel tout proche. Et ces 2 ouvriers tachées de plâtre qui passent et repassent, une poutre métallique en équilibre entre leurs épaules, et même le chat, assis à l’angle et qui cligne des paupières d’un air entendu… En ces lieux imprégnés, l’imagination ne court pas, elle vole et nous entraîne dans son sillage aérien à travers un espace temps distendu. De retour de cette échappée onirique, nous reprenons pied dans la réalité et arpentons les ruelles de la médina. Chaque ville chuchote au voyageur attentif l’expression de sa personnalité et nous sommes à l’écoute. Le passé artistique glorieux de Tanger s’est mué en nostalgie un brin boboïsante d’une époque révolue mais comme inscrite dans l’air et dans les bâtiments. Tanger est semblable à une vieille actrice dont la gloire est derrière elle mais qui rechigne à quitter le devant de la scène. Et c’est touchant. Le calme émanant des boutiques d’antiquaires s’associe à la beauté des collections présentées derrière les vitrines et nous nous y abritons un instant. L’ambiance se prête à la détente plus qu’à la découverte et aux rencontres, les échanges sont polis et discrets, délicatement superficiels. Ressourcés, nous nous aventurons plus avant dans les quartiers moins courus, sinon par leur habitants. Nous les trouvons imbriqués dans le méli-mélo du centre ainsi qu’à la périphérie de la médina. Nous échangeons avec un tisserand qui utilise une étrange machine qui fait courir les fils sur une sorte de chaîne de vélo, nous papotons à gauche et à droite mais je me sens moins à mon aise que d’habitude, peut être est ce l’effet de la fatigue ou l’appréhension de la fin de ce voyage. Quoi qu’il en soit, je ne persévère pas, je suis fatiguée, je me laisse porter. Tanger m’apparaît comme une ville subtilement séductrice, un je ne sais quoi qui donne envie d’y flâner. Nous laissons bien volontiers son charme opérer et un temps de vacances légères s’inscrit à travers le voyage. Je m’autorise cette transition douce entre l’excitation quotidienne des découvertes, la puissance des contrastes, la richesse des rencontres et le retour à une vie que j’aime mais que je connais déjà.  J’accueille cette légèreté comme un cadeau, après le chambardement émotionnel d’Imsouane et Essaouira. Parenthèse bienvenue, hasard de l’itinéraire qui clôt la boucle avec douceur.

Depuis les sièges de notre dernier taxi, nous longeons la côte découpée, étrangement tapissée de champs verdoyants et d’une végétation qui parait luxuriante tant nous n’en sommes plus coutumiers. Il y a 5 semaines, nous parcourions cette même portion de route, tout nous semblait surprenant et différent et aujourd’hui tout paraît familier. L’étonnement a laissé place à l’attachement pour ces atmosphères que nous avons vécues et aimées. Dans 2 jours, c’est finalement à Barcelone que nous débarquerons, l’inattendu de l’aventure jusqu’au bout puisque le bateau pour Marseille est bloqué au port pour cause d’avarie. Je suis heureuse d’avoir le temps long de la traversée pour laisser mon cœur faire ses adieux à ce pays que j’ai eu tant de plaisir à fouler de mes pieds.

A la délicatesse des fleurs d’oranger parfumant mon thé, merci.

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V
Merci pour ce voyage magnifique. <br /> J’attends avec impatience les nouvelles aventures. <br /> Bon retour
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C
Merci Cindy pour la beauté et la poésie dans tes mots qui nous transportent dans ce pays que j'aime mais ai quitté depuis si longtemps, et que je ne reconnaitrais probablement pas.<br /> Quelle belle aventure vous vous êtes offert, quels souvenirs incroyables pour Pierrot et Balthazar d'avoir vécu cela dans ces conditions exceptionnelles.<br /> Bon retour vers le connu, au plaisir de te serrer dans mes bras et d'en apprendre encore un peu plus.<br /> Je vous embrasse.
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A
encore de très belles photos et un écrit superbe, bon retour et gros bisous
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