Réflexions océaniques

Publié le par 16pattesenvadrouille.over-blog.com

Nous quittons aujourd’hui la côte ouest et les embruns océaniques. Le bus double les calèches tirées par des chevaux qui complètent le réseau de bus reliant le centre d’Essaouira à la proche périphérie. Cette fois, c’est la musique de Thylacine qui m’aide à me plonger dans les souvenirs des derniers jours. 

C’est un peu à reculons que j’ai quitté le centre et les montagnes, mais nous souhaitions retrouver Auré et Charlotte et leur faire nos aux revoirs, leur séjour se prolongeant un peu plus que le nôtre. Nous effectuons une halte à Taghazout, dans un camping qui n’avait d’autre intérêt que celui d’y passer un moment avec les copains puis poursuivons la route chacun de notre côté pour nous retrouver pour une ultime soirée à Imsouane, précieux village dans les souvenirs d’Auré qui y vient depuis son enfance. Imsouane est à l’origine un petit port de pêche, devenu malgré lui un célèbre spot de surf mondial. Au départ fréquenté par de rares initiés, sa réputation et son développement se sont accélérés au cours des 20 dernières années. Ce site offre de superbes conditions de glisse, tant au débutants qu’aux surfeurs expérimentés, ce qui amplifie encore davantage son attractivité. Rien de bien émoustillant pour moi, qui ai plutôt tendance à fuir ce genre de lieu, mais j’ouvre mon esprit à la découverte et nous y voici. Choc. Il nous semble pénétrer une zone de guerre. Partout, des décombres, comme un territoire récemment frappé par un tremblement de terre. L’incompréhension est totale, observant les hommes fouillant les carcasses fumantes de poussière non encore retombée pour en extraire vitres, bois, tout ce qu’ils peuvent. Nous sommes dimanche, jour de trêve, et nous sommes les témoins de la charge menée hier par les bulldozers. À force de discussions, nous comprenons ce qui se produit ici. Depuis 70 ans, autour du port et le long de la plage, de saison en saison de surf, des constructions anarchiques se sont agglutinées sans autorisation d’aucune sorte mais ont permis l’accueil et la mise à disposition de services aux surfeurs en nombre toujours plus grand. Tous savaient que cela aurait une fin et c’est hier que le glas a sonné. Certains ont ici toute leur vie et toutes leurs possessions, comme l’épicier chez qui nous effectuons notre modeste ravitaillement. Toute cette population, qui a rendu possible l’expansion de ce site a été informée de l’expulsion avec un unique jour de délai. En un jour et une nuit, ils sont passés de pas grand-chose à rien du tout. Résister ? Cela ne les conduirait nulle part, sinon en prison. Dès demain, les bulldozers reviendront accomplir le reste du travail funeste. Une grande confusion règne dans nos esprits. Du bout de la digue, je reste songeuse, j’observe la crique et la centaine de surfeurs, assis sur leurs planches et attendant leur tour comme on patiente pour une rame de métro. Je suis perplexe. J’aime la nature, les grands espaces et je conçois tout à fait que l’on puisse éprouver du plaisir à glisser librement sur une vague, à s’imprégner de la puissance de l’océan, à s’unir son mouvement et à s’illusionner, pour un instant, de l’avoir dompté, mais là… À la queue leu leu, assis sur une planche à éviter de se faire percuter par son voisin, l’incompréhension est pour moi totale. Dubitative, ébranlée par le contraste entre cette file d’attente sur l’océan et l’empathie pour ces gens qui demain ne sauront pas où aller je suis perdue dans mon voyage, profondément triste et déboussolée. Je n’accuse ni ne juge. Je ne possède pas les clés nécessaires à la compréhension de ce dont je suis témoin. Certains disent que c’est à cause du tremblement de terre et que tout risquait de s’écrouler, d’autres que le Roi  souhaite présenter une belle image de son pays pour la coupe du monde de football en 2030, d’autres encore qu’il a des amis investisseurs immobiliers à faire travailler… Que le petit port de pêche soit devenu repère international de coolitude et de surf, avec ses cahutes bringuebalantes qui lui offrait un charme propre et une certaine authenticité, je le comprends. Mais imaginer ces décombres aplanis, terrassés pour voir y pousser un joli trottoir tout lisse et des immeubles flambant neuf faisant d’Imsouane une station balnéaire aseptisée semblable à tant d’autres me désole. Dans cette confusion émotionnelle, nous nous attardons et discutons sur le port avec les commerçants et les pêcheurs et l’espoir renaît un peu dans dans mon cœur. Mon voyage retrouve sa boussole lorsque l’activité des pêcheurs s’éveille. Il est l’heure pour les dodues embarcations de bois bleu de rejoindre le large pour la pêche au poulpe nocturne. L’émulation gagne la plage au soleil couchant tandis que les tracteurs alignent les barques par quatre ou cinq pour le départ. Alors, l’incroyable mise à l’eau s’opère. Le tracteur emmène à sa suite le bateau pour traverser la plage. Puis il se place derrière lui et le pousse vers les premières vagues qu’il franchi en se cabrant parmi les derniers surfeurs qui s’attardent. La juxtaposition des deux mondes qui se fondent est surréaliste, mais elle me plaît. Elle me plaît parce que tradition ne s’oppose pas nécessairement à évolution ni à modernité, elle me plaît parce qu’elle ouvre pour moi l’espace d’un espoir pour l’âme d’Imsouane. 

Le lendemain, nous quittons Imsouane à pied. Le sentier serpente à quelques distances de la mer, grimpe et redescend au rythme des collines arides. Les détours sont nombreux et nous rejoignons finalement une route peu fréquentée après une halte sur un site où nous foulons débris ts d’ammonites et autres fossiles. Nous apercevons au loin une large anse abritant une plage et finissons par trouver un étroit chemin épineux qui semble y mener. La plage s’offre à nous, déserte. Un bivouac parfait pour nous recharger un peu. Les enfants jouent sur le bord de la plage, baignade sous haute surveillance tant les courants sont forts et les vagues puissantes. Sur les rochers bordant le sable, une dizaine de petites constructions en pierre, en partie effondrées, mais bien souvent un numéro de téléphone peint sur les portes tenant encore debout. Peut-être d’anciennes cahutes à louer pour surfeur en mal de solitude ? C’est en tout cas reposant et charmant. Du côté sud de la plage, la falaise est abrupte et les strates s’empilent en couches beige et grises. Les petits écureuils s’y égaillent, surveillés par le couple de faucon qui niche à mi hauteur, dans un enchevêtrement de vieille racines. Astucieux camouflage ou délicate coquetterie, leur plumage s’assortie au décors, beige pour Madame, et pour Monsieur, gris. Dans le prolongement des bandes sédimentaires, la roche s’érode sous de fins filets d’eau, révélant une mâchoire de stalactites géantes semblant prête à ne faire qu’une bouchée de nous. C’est captivant et seul le reflet du soleil qui se fond dans les vagues m’arrachera à cette contemplation. Nuit silencieuse dans le fracas des vagues, veillés par une lune bientôt ronde, sans hurlements de chiens errants, de braiements d’âne ni chant du Muezzin au loin. Silence savouré à sa juste valeur. 

De marche en stop puis en bus, nous cheminons le lendemain à travers des espaces vallonnés où le vert des rares arganiers qui ne sont pas desséchés tranche sur le rouge constant de la terre. J’aperçois la carte postale de quelques chèvres qui grimpent s’y régaler de tendres pousses de feuilles. En fin d’après-midi, nous rejoignons ainsi Essaouira et pénétrons le grand flux touristique de ses artères bouchonnées. Une partie importante de l’économie marocaine repose sur le tourisme, alors, il est heureux que cette foule soit là. Et puis nous en faisons partie, mais je m’y sens perdue et engloutie. Nous nous enfuyons sur le port, tout au bout, jusqu’à ne plus croiser que les grasses mouettes chapardant les sardines aux chats repus. Becs sanguinolents, elles déchiquettent les poissons argentés et semblent prêtes, si nous nous attardons trop longtemps, à nous dévorer, tout cru. Le lendemain, nous nous lançons à nouveau à l’assaut de la ville. A chaque embranchement, nous nous évertuons à choisir le moins emprunté et finissons par aboutir au souk populaire qui se cacher en son sein. Minuscule, perdu dans la fourmilière cosmopolite qui l’entoure, mais il existe le souk où les poulets caquettent une dernière fois avant de plonger dégorger leur sang, la tête dans un entonnoir, puis de tressauter dans la machine à plumer avant de finir mariné et servi en tajine dans le boui-boui voisin, où nous le dégustons, ravis. À chacun son Maroc ! Et sa beauté c’est qu’il en existe pour tous les gouts. À chaque voyageur d’y trouver ce qu’il en attend, je réclame juste le droit de conserver la liberté de choisir. 

Je me questionne beaucoup à ce sujet, ne suis-je pas, finalement, touriste néo colonialiste ? Européenne privilégiée qui réclame un bout d’exotisme préservé ? Je ne demande pas que rien évolue, en revanche, je m’interroge sur l’issue. « L’évolution » mène t elle vers l’amélioration du confort de vie des plus nécessiteux, vers une liberté de choix plus grande et l’égalité d’accès aux ressources ainsi qu’aux richesses ? Ou creuse elle juste un peu plus encore le fossé entre ceux qui ont tout et ceux qui n’ont rien… En quête d’exotisme, peut-être, mais je me pense davantage en quête de partage et je le trouve bien plus ici, dans le souk que de l’autre côté de la rue. 

Il est temps, désormais de remonter vers Tanger, d’où notre bateau partira dans quelques jours maintenant. La côte me laisse un sentiment mitigé, mais après tout, il est bon aussi, de savoir ce que l’on apprécie moins. 

Aux pêcheurs d’Imsouane et au plumeur de poulets d’Essaouira, merci. 

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V
Est-ce que l’évolution est une bonne ou mauvaise chose ? Je me pose cette question depuis longtemps.
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A
magnifique
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